L’objectif est simple mais ambitieux, relier l’extrémité nord de la Corse (Cap Corse) à l’extrémité sud (Bonifacio – Cap Pertusato) à la force de nos jambes et en passant par les sommets et arêtes mythiques de cette île, le tout en une dizaine de jours.
Cette aventure nous réserve des paysages magnifiques, des bivouacs spartiates, des arêtes d’alpinisme infinies, des couchers et des levers de soleil à répétition mais surtout un retranchement dans nos limites mentales et physiques comme jamais.

Chapitre 1 : L’organisation
Après plusieurs semaines sans se voir, c’est à Bastia que nous nous retrouvons pour se lancer dans un beau projet qui a mûri dans la tête d’Étienne ses derniers mois. Pour Étienne, dont une partie de la famille vit en Corse, ce projet lui permettra de redécouvrir une partie des sommets gravis pendant son enfance, mais aussi d’en découvrir de nouveaux, tout en passant par des itinéraires alpins et aériens qui le font rêver. Pour Lucas, c’est une grande découverte de cette île où il n’a jamais promené ses baskets. La découvrir de cette manière s’annonce donc atypique et peu reposante !Afin de mener ce projet mixant « fast hiking » et alpinisme en une dizaine de jours, la nécessité d’être light est indispensable. Nous avons des sacs d’une trentaine de litres avec le strict minimum. La météo s’annonce belle donc on décide de se passer de la tente, ça sera nuit à la belle, ou refuge dans le meilleur des cas. Pour le matériel d’alpinisme, Etienne, qui est arrivé 5 jours avant notre départ, est allé le cacher dans la montagne à partir du moment où nous en aurons besoin. Idem pour la nourriture avec deux colis cachés en montagne que nous devrons récupérer, et nous avons la grand-mère d’Étienne qui nous fera un ravitaillement au col de Vergio après 4 jours.
Chapitre 2 : Le grand départ
C’est donc le 4 octobre 2023 en fin d’après-midi que nous entamons notre aventure depuis le petit village de Tollare, à l’extrémité du Cap Corse. La météo est magnifique, idéal pour débuter cette traversée. Le premier jour sera une mise en jambe avec 16km et 800m de dénivelé. Nous passerons la nuit à la chapelle de Notre-Dame des Grâces, au-dessus du village de Morsiglia.
Le lendemain, nous débutons la journée sur un rythme journalier qui va nous suivre jusqu’à la fin, départ vers 6h à la frontale, et fin de journée vers 19h30 avec la frontale aussi. L’avantage de ce rythme est de pouvoir profiter des belles lumières de début et fin de journée, sans passer trop de temps à marcher de nuit.
Lors de ce deuxième jour, nous naviguons sur les crêtes du Cap Corse, en passant notamment par la Cime di e Follicie et le Monte Stello. Malheureusement l’ambiance est un peu nuageuse et nous n’apercevons pas toujours le paysage. Notre allure nous permet d’atteindre le lac de Padula, en-dessous de Oletta, après une descente de 15km de goudron peu réjouissante. Mais le contrat est rempli, nous avons atteint notre objectif fixé, avec quasiment 60km au compteur et plus de 2500m de D+.
Le réveil suivant (06/10) est humide aux abords de ce lac. On commence par du plat, avant de rejoindre le village de San Gavino Di Tenda, pied de la montée vers le Monte Astu, joli sommet à plus de 1500m. À la descente, on s’arrête à la boulangerie de Pietralba pour reprendre quelques forces avant une nouvelle section de goudron pour relier Ponte Leccia. Une petite baignade agrémentera également le trajet. Direction le supermarché pour refaire le plein de nourriture pour 2 jours, la partie alpine débutant le lendemain. On finit la journée en allant à Popolasca, magnifique village perché aux pieds de belles aiguilles, où nous passerons la nuit à l’abri de l’humidité dans une grotte.
Chapitre 3 : L’alta Via
Le réveil du 07/10 n’est pas difficile, nous sommes tellement excités de débuter cette portion qui nous fait vibrer depuis plusieurs jours, l’Alta Via. Un itinéraire alpin reliant Popolasca au col de Vergio en passant uniquement par les crêtes, 45km et 6000m de D+ nous attendent ! Aucun de nous deux ne l’a déjà fait, nous disposons de peu d’informations (quelques topos internet + un topo des années 80) et nous savons qu’il faudra être efficace pour progresser dans ce terrain ultra technique et paumatoire, mais c’est ce qui le rend excitant !
La première montée pour rejoindre la Cima I Mori déroule bien, nous arrivons à suivre un petit sentier bien cairné et nous nous aidons de la carte. Le contournement de la Cima est plus délicat, il faut vraiment faire appel à son sens de l’itinéraire. Plusieurs passages, esthétiques et atypiques (failles, brèches,…), nous permettent de rejoindre le Monte Pianello sans perdre trop de temps. Puis on enchaine les montées – descentes assez usantes sur des « dômes » avant de rejoindre la Bocca Di Serra Piana où Étienne a caché le matériel d’alpinisme et un peu de nourriture !
On complète nos sacs qui seront désormais un peu plus lourds. La suite est toujours aussi usante dans ce maquis corse. En atteignant le lac de Ghiaghe Rosse, au pied du Capu Verdatu, on comprend qu’on passera beaucoup plus de temps que prévu sur l’Alta Via, tant pis, on fera de notre mieux en gérant nos réserves et on verra où nous arriverons ! Les parties intéressantes débutent enfin au Capu Verdatu avec l’enchaînement des arêtes de la Sellola, du Capu Ciuntrone et le Monte Cinto. C’est sur ce dernier sommet, point culminant de la Corse, que nous passerons la nuit, après avoir profité des magnifiques lumières du soir, après cette longue journée usante mentalement et physiquement (25km pour 3500m de D+).
Le lendemain nous continuons notre avancée sur l’Alta Via. Nous faisons un premier arrêt au lac du Cinto pour refaire le plein d’eau, denrée rare sur cette arête ! Puis nous enchaînons les sommets, Capu Larghia, Capu Rossu, Punta Minuta, Capu Tighiettu, Capu Ucellu, tous aussi beaux les uns que les autres. Mais l’heure tourne malgré notre efficacité. Au col de Serra Pianella nous décidons de sauter la dernière partie de la Grande Barrière et de descendre dans une combe raide avant de remonter dans une autre pour atteindre le pied du Paglia Orba, l’une des plus belles montagnes Corse. Encore une longue journée usante sur les crêtes à essayer de progresser le plus vite possible mais sans prendre trop de risques. Le repas du soir est assez léger, nous n’avions pas prévu de passer une deuxième nuit sur l’itinéraire, heureusement nous avons trouvé un peu d’eau.
La journée suivante sera sûrement la plus belle journée de cette aventure. Nous enchaînons la voie Finch du Paglia Orba au lever du soleil, sublime itinéraire dans un rocher exceptionnel. En redescendant du sommet, on enchaine avec le Capu Tafonatu, magnifique sommet atteint par un itinéraire esthétique qui suit un système de vires et passe dans le fameux trou, incroyable ! Ce sommet sera le dernier de notre Alta Via, une belle façon de clôturer cet itinéraire exceptionnel.
En redescendant, on rejoint le GR20 au niveau du refuge Ciuttulu I Mori, ça fait plaisir de retrouver un chemin et la civilisation ! Petite baignade dans une vasque paradisiaque dans la descente pour rejoindre le col de Vergio où la grand-mère d’Étienne nous attend. Sa venue et le ravitaillement nous ferons le plus grand bien. Nous lui laissons le matériel d’alpinisme et nous repartons le ventre plein, un peu trop peut-être après 3 jours de restrictions alimentaires ! Petite étape du GR pour finir la journée et rejoindre le refuge de Manganu en passant par le magnifique lac de Nino au coucher du soleil, moment unique.
Chapitre 4 : il ne reste plusqu’à marcher
Après ces trois belles journées sur les arêtes, c’est parti pour enchaîner les étapes du GR20. Nous qui aimons les terrains techniques on n’a pas été déçu, des cailloux en veux-tu en voilà et avec beaucoup de dénivelé !
Pour notre première journée intégrale sur le GR le 10/10, on s’envoie plus de 40km et 4000m de D+ soit 4 étapes, un morceau ! Nous avons relié le refuge de Manganu à la bergerie des Pozzis en passant notamment par le Monte D’Oro, la Punta Dell Oriente (colis de nourriture à récupérer) et le Renoso. Nous sommes arrivés à la bergerie à 21h, épuisés par cette interminable journée.
Le lendemain les jambes sont lourdes mais nous arrivons tout de même à enchaîner plus de 3 étapes en allant de la bergerie au refuge d’Asinau, soit 36km et 2500m de dénivelé. Le passage au Monte Incudine, dernier gros sommet de notre traversée, au coucher du soleil restera un moment magique. Le Sud commence à se rapprocher et on y croit de plus en plus !
12 octobre, dernier tronçon sur le GR20 où nous le quittons à Bavella après un beau lever du soleil et une dernière descente bien technique et cassante. Maintenant c’est cap au Sud, les chemins sont moins intéressants mais on arrive à donner un peu d’intérêt en passant par quelques sites touristiques (trou de la bombe, cascade Piscia Di Gallu). En fin de journée, nous retrouvons des altitudes proche du niveau de la mer et une boulangerie qui aura réussi à nous motiver de courir, 5 jours qu’on avait pas croisé de commerces ! Par contre, difficile de trouver un endroit où dormir dans la plaine, et de l’eau pour se laver… Après avoir marché jusqu’à 21h et avalé plus de 57km (plus long kilométrage de la traversée), un corse nous accueille gentiment dans son jardin, un simple tuyau d’arrosage et une dalle pour mettre nos matelas suffiront à combler notre bonheur, il n’en faut pas beaucoup !
Le vendredi 13, c’est le dernier réveil ! Départ à 6h avec pour objectif d’arriver à Bonifacio vers midi pour se dégommer une grosse pizza ! Une portion de goudron, suivi d’une portion de route carrossable le long d’un lac, et voici la mer qui surgit devant nous. On pique une tête à la première plage, quel plaisir ! Mais pas le temps de se relâcher, il reste encore 20km à longer la côte avant d’arriver à Bonifacio, et que c’était dur mentalement !
À 13h, nous arrivons sur le port et nous attablons de suite dans une pizzeria, la transition a été un peu brutale mais on est soulagé, ON L’A FAIT ! Plus qu’à déguster ce bon repas, avant d’aller déposer nos sacs dans notre chambre pour la nuit, puis d’aller au Cap Pertusato, extrémité Sud de la Corse et fin officielle de notre traversée. Un plouf mérité sur cette magnifique plage, et un retour sur Bonifacio émerveillé par les belles lumières du soleil couchant, le sentiment du devoir accompli !
Quelques chiffres pour résumer cette aventure :
– plus de 350km et 21 000m de dénivelé avalés en 9 jours
– plus de 100 heures de marche
– seulement 2 nuits en refuge, tout le reste à la belle étoile
– 9 levers du soleil, et autant de couchers
– des litres d’eau consommés en ces températures quasi estivales
– quelques irritations mais aucune grosse douleur musculaire ou articulaire